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EPIPHANIE

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Épiphanie – année A- 8 janvier 2023

Lectures :  Is 60,1-6    Ps 71       Ep 3,2-3a.5-6       Mt 2,1-18

Homélie pour l’Epiphanie, suivie d’un texte sur l’Epiphanie chinoise par Claude Tuduri.

Chers amis,

            « Or voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem … » Sur quel événement concret ce récit qui n’est rapporté que par l’évangéliste Matthieu a-t-il été construit ? Nous ne le savons pas mais ce n’est sans doute pas le plus important. En effet, ce que Matthieu a voulu nous dire c’est que Jésus est bien le Sauveur non pas seulement du peuple juif, mais de toute l’humanité. Et dans la tradition chrétienne les mages qui représentent ces peuples venus du bout du monde vont être appelés rois. On leur appliquera ces versets du psaume que nous avons priés à l’instant : « Les rois de Tarsis et des Iles apporteront des présents. Les rois de Saba et Seba feront leurs offrandes. Tous les rois se prosterneront devant lui, tous les pays le serviront ».

              Il me semble que cette figure des rois-mages n’est pas si éloignée de nous. Car ces hommes sont avant tout des chercheurs de sens : attentifs à ce qui survient dans le monde et dans leur propre vie. Des personnes qui se sont mises en route, et qui sont passées par des tours et des détours avant d’atterrir là où Dieu les attendait. L’étoile ne leur a pas indiqué ce qui allait leur arriver mais bien ce qui était déjà là.

             Les mages ne sont pas allés directement au lieu de la Nativité. Rien de surprenant car lorsque l’on part à la recherche d’un roi on va le chercher dans un palais plutôt que dans une étable. C’est ce que font les mages en allant au palais d’Hérode. Mais voilà. Jérusalem qui tenait le devant de la scène dans le texte d’Isaïe que nous avons entendu en première lecture est à présent mise hors jeu. Tout se passe à Bethléem, et dans une étable. Le peuple juif pourtant concerné au premier chef par la venue du Messie prend peur. Non seulement « le roi Hérode fut bouleversé » mais aussi « tout Jérusalem avec lui ». Le peuple juif ne se met pas en route comme les mages qui vont poursuivre leur chemin jusqu’au lieu de la « manifestation » ( tel est le sens du mot « épiphanie » ) de l’enfant Dieu.

        Nous sommes invités à regarder notre vie à la lumière de ce récit. La quête des mages nous parle de notre itinéraire à chacun  vers ce qu’il y a de plus essentiel. Notre vie de foi, nous le savons, n’est pas linéaire. Elle connaît des tours et des détours, des arrêts, des reculades  et des remises en route.

            L’étonnant dans le récit évangélique est que les mages semblent être les seuls à avoir vu se lever l’étoile. Hérode ne risquait pas de l’apercevoir lui qui préférait le faste bruyant de sa cour au silence de la méditation sous un ciel étoilé. Quant aux « grands prêtres et aux scribes du peuple » ils étaient trop convaincus de détenir la vérité en lisant les Ecritures pour se rendre disponibles aux signes dans leur accomplissement.

            Finalement que cherchons-nous ? qu’est-ce qui nous aide à avancer ? quelle étoile nous conduit les uns et les autres ? Vers quelles lumières nous tournons-nous ?  Au milieu du clinquant de notre société qui risque de nous éblouir, quel est notre guide ? Qui allons-nous adorer ?

            Dieu a voulu lier notre histoire à la sienne. Nous allons écrire en 2023 une nouvelle page de nos existences.  Il y a ce qui est prévu, attendu, redouté. Il y a ce qui arrivera. Faisons confiance à Celui qui est venu jusqu’à nous. Restons-là devant lui. Puis retournons dans notre existence « par un autre chemin » qui n’est autre que celui de l’Evangile.

A présent je suis heureux de passer la parole à un compagnon jésuite, Claude, qui va nous parler de « l’annonce aux païens »  dans un pays d’Extrême Orient.

                                            Jean-Jacques Guillemot sj  et l’équipe des collégiens et lycéens du secteur pastoral.

Épiphanie chinoise par Claude Tuduri :

O nuit longue douleur
La mort se brise comme un verre
Et le fruit tourne en fleur
Au milieu de l’hiver

écrivait Anne Perrier dans l’un de ses poèmes, aussi beau que les Trois Gorges du Sichuan.

Demeurons dans la prière, demeurons avec la myrrhe, l’encens et l’or du poème pour recevoir quelque chose de l’épiphanie chinoise. Le discours d’une raison sociale, religieuse, politique et j’en passe viendra à son heure mais demeurons là un instant dans la prière avec tout ce que la Chine porte en soi par sa présence concrète, ses corps agiles, ses fleuves interminables, sa brume d’exode et de silence.

L’Epiphanie, c’est ce qui nous emporte gratuitement comme la Chine amoureuse de la Création vers une mutation du sensible, la manifestation de sa gloire, la Parole de Jésus sanctifiant la matière de l’univers,  le corps et l’âme de toutes celles et de tous ceux qui croient et vivent dans l’Esprit de son Nom , en Eglise ou dans le secret.
L’or n’est plus le signe de la cupidité mais celui du pur éclat de la couleur, la myrrhe annonce un corps glorieux qui résiste au nauséabond de la mort, l’encens dit la nuée nomade de l’Esprit et son impénétrable lumière, la « bonne odeur du Christ » déjà présente dans sa Création. Les mages ont pu déposer aux pieds de l’enfant Prince de la vie tout ce qui peut faire passer le sensible du côté du spirituel. Ils annoncent une messe sur le monde où tout deviendrait épiphanie.

C’est ce que je souhaite retenir de mon expérience chinoise d’enseignant jésuite dans le Sichuan : une relation salvatrice à des formes de bonheur qui apprennent l’humilité  et la proximité du ciel et du corps, loin des haut-parleurs rouillés de l’obsession nationaliste léniniste.
Le goût des autres, de l’amitié et du bien commun chez beaucoup de jeunes, la capacité à garder le silence à tout âge plutôt qu’à le corrompre, la soif d’un avenir en ville loin des misères de la campagne.
Enfin, surtout le goût de préserver les ressources du possible, de ne pas conclure, de ne pas projeter une identité, un objectif, une interprétation téméraire et impérative sur l’expérience toujours neuve de la vie.
Un rapport juste, dilaté, déployé, précis à l’espace plus qu’au temps, des paysages géants offerts à un  interminable voyage au fond de la poésie, de la calligraphie, de la danse, de la peinture. Enfin, des visages parfois aussi plissés de souvenirs rouges et cuisants que les parois des grottes karstiques. Visages de mille ans des cordonniers de rue, de dockers, de paysans égarés dans la mégapole.

Enfin, je dirai de mes frères et sœurs dans la foi si vivants et légers sous l’oppression, si ennemis de toute autorité qui ne briserait pas la glace ce que dit Anne Perrier de la lumière du cœur, des visages, celle que le Christ donne à chacun s’il veut bien la recevoir :

Laissez venir à moi mes paysages
Ils avaient fait une autre terre
Avec leurs yeux d’air frais
Avec leurs mains égales
Une terre sans mal
Légère à dire

[…] Si vive était la clarté
Que je fermais les yeux
Si pure était la beauté
Que se taire valait mieux
Et maintenant s’il m’arrive de les citer
C’est un peu
Comme on demande pardon de tenter
Dieu