Le Père Patrice nous a quitté
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Le Père Patrice BATANTOU a été rappelé à Dieu le jeudi 15 mai. Le Père Jean-Jacques, supérieur de la communauté St Fort nous parle de sa vie.
Le Père Patrice BATANTOU, de nationalité congolaise, est né à Brazzaville le 25 novembre 1952. Il est l’aîné de 9 enfants. Ses parents : Patrice Joseph et Raymonde Moutinou sont ingénieur agronome et pédiatre.
Après des études de droit puis de sciences humaines et sociales à l’université d’Etat de Brazzaville, il entre au noviciat des jésuites de la Province d’Afrique de l’Ouest au Cameroun à l’âge de 26 ans. Il suit alors le cursus habituel de formation d’un jésuite : philosophie à Kinshasa puis théologie à Nairobi au Kenya. Après son ordination presbytérale à Brazzaville en 1991, le P. Patrice a travaillé au Tchad comme vicaire à Mongo durant 4 ans. Puis il est envoyé comme ministre à Abidjan en 97-98 après un recyclage de 2 ans à Bruxelles à Lumen Vitae. A partir de 1998 il sera à Brazzaville soit à la maison St lgnace, soit au centre spirituel Vouéla. Il sera un temps supérieur des jésuites du Congo.
Le P. Patrice arrive en France en 2008, dans les communautés parisiennes de la rue de Grenelle puis de la rue de Sèvres avec la perspective d’une prise en charge médicale qui va s’avérer au fil des années très lourde. Il sera nommé à la communauté de Vanves en 2012. Durant les 4 années qu’il passera dans cette maison de formation il sera un « hôtelier » apprécié, tout en ayant un engagement au Secours Catholique. Je l’ai croisé à Paris à cette époque pour la première fois et il m’avait dit sa disponibilité pour un travail en paroisse — ce qui se réalisa quand il fut envoyé en 2016 à la communauté Saint Fort — sur l’ensemble paroissial Notre Dame des Anges, Saint Victor et Jeanne d’Arc. Engagé d’abord du côté de Jeanne d’Arc et aussi présent aux Ehpad de la Croix Rouge et de Talanssa. Célébration d’obsèques et référent pour les baptêmes des tout petits à Notre Dame des Anges. II a cessé sa mission auprès de la paroisse en août 2023 pour se consacrer à son travail de ministre de la communauté Saint Fort et il a continué l’accompagnement de sa communauté locale CVX.
Le P. Patrice a commencé les séances de dialyse à son arrivée en France et il a manifesté beaucoup de courage et d’endurance, sans jamais se plaindre, à vivre les nombreux déplacements à l’hôpital, d’abord en région parisienne puis à Bordeaux.
Il n’était pas toujours facile à vivre en communauté, avait du mal à supporter une autorité. Fier de son africanité, il le faisait savoir, ce qui déconcertait ses interlocuteurs du moment. Les hôtes jésuites de passage à Bordeaux ont été sensibles à son accueil, à sa disponibilité. Dans les messages reçus de compagnons jésuites à l’occasion de son décès est évoqué un compagnon simple, sensible — cette simplicité se manifestant plus par des actes que par des paroles. Car le P.Patrice était un taiseux et ne parlait pas ou peu de ce qui l’animait vraiment. Peut-être plus secret que taiseux. Parfois en présence d’un jésuite d’une autre province il évoquait un souvenir de ses années africaines.
Les derniers mois furent difficiles pour lui et pour sa communauté de St Fort. Il devenait de plus en plus dépendant. II a tenu à venir à Notre Dame des Anges lors de la Nuit de Pâques et quelques paroissiens avertis de sa présence sont allés le saluer. Nous ne savions pas comment l’aider et face aux exigences de la médecine à son égard nous pensions que l’on était du côté de l’acharnement thérapeutique. Sa mort, une épreuve pour ses proches, est pour Ie P. Patrice une libération, un « passage » vers la vie … comme en témoigne le visage apaisé qu’il avait au funérarium.
Que le P.Patrice repose en paix et que la terre bordelaise lui soit légère !
Jean-Jacques Guillemot, sj
Le Père Thierry Lamboley, supérieur des jésuites a prononcé l’homélie de ses funérailles, célébrées le mardi 20 mai à Notre Dame des anges, en voici le texte :
Pour Patrice Batantou
« Dieu essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus ; il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur. »
Cette parole que saint Jean entend dans sa vision de l’Apocalypse dit, à la fois, ce que Patrice a enduré ces derniers mois et l’espérance folle qui l’habitait. Chez Patrice, les cris étaient silencieux. Jamais il ne se plaignait. Pourtant, il aurait eu bien des raisons de crier, tant ses douleurs étaient fortes, tant les traitements étaient éprouvants. Cependant, fin février, il m’écrivait : « Même si ma mort était imminente, l’Africain que je suis ne va pas commencer à angoisser et alerter les membres de sa famille tout azimuth ». Ces dernières semaines, son corps malade arrivait à bout. Ses pieds étaient en sang, la marche devenait difficile. Patrice ne pleurait pas en public, mais son regard — ses yeux rougis par la douleur et l’épuisement — trahissait des larmes que seul Dieu connaissait. Comment Patrice a-t-il pu tenir ? Nul ne peut le dire. Sans doute a-t-il puisé de la force auprès de ses frères jésuites, de sa famille, de l’équipe médicale qui l’a encouragé dans cette aventure à hauts risques. Mais plus profondément encore, Patrice s’appuyait sur cette espérance qui porte un nom : résurrection. Il savait que ce qui semblait dominer, ce qui semblait être premier — la douleur, l’épuisement — ne durerait pas. Il savait que Celui qui fait toutes choses nouvelles allait bientôt se manifester à lui. Oh, ce ciel nouveau, cette terre nouvelle, Patrice en avait déjà eu un avant-goût. C’était en 1998, au pays, avec le Service Jésuite des Réfugiés : il avait alors aidé des populations réfugiées dans la forêt à se réinstaller et à reprendre vie. « Voici que je fais toutes choses nouvelles. » Pour Patrice, aucune situation, même dramatique, n’était sans issue. Il croyait qu’un monde nouveau pouvait surgir au cœur même du chaos, même si parfois, comme pour chacun d’entre nous, il pouvait être à l’origine ou participer à ce chaos. Les amis, c’est à ce passage-là que nous sommes invités aujourd’hui : le passage d’un monde ancien marqué par les guerres et les larmes (les exemples sont hélas trop nombreux) vers un monde nouveau où habitent la justice et la paix (le pape Léon en est déjà le chantre).
« Ma chair elle-même repose en confiance… Tu m’apprends le chemin de la vie. »
Ces versets du psaume expriment ce que beaucoup ont ressenti en voyant Patrice une dernière fois, au salon funéraire : un visage paisible qui manifeste une confiance presque surprenante. Comme celui qui, en fermant les yeux le soir, la nuit tombée, est sûr qu’il se réveillera au matin, quand le jour se lèvera. Patrice avait suffisamment marché sur le chemin de la vie pour s’y engager, une fois pour toute, en toute confiance à son dernier sommeil. Et ce chemin, il l’aura montré à beaucoup. Au pays, on raconte comment il a sauvé un bébé abandonné dans des latrines — littéralement arraché au chemin de la mort. Dans sa famille, tous se souviennent de sa présence discrète, de ses paroles rares mais précieuses, de ce rôle de veilleur de paix, de gardien de l’unité familiale. Ici, à Notre-Dame des Anges, il a préparé bien des funérailles, célébré bien des baptêmes — ces moments de passage, justement, où l’on entre dans une vie nouvelle. Les amis, aujourd’hui encore, Patrice nous montre le chemin de la vie. Un chemin que nous pouvons choisir d’emprunter à notre tour, en sortant d’ici. Le chemin d’une vie que même la mort ne pourra pas arrêter.
« Jésus leur dit alors : Venez manger. »
Cette parole du Ressuscité à ses disciples s’accorde merveilleusement avec le souvenir que beaucoup gardent de Patrice. Dans sa province d’origine comme en France, on lui confiait souvent des responsabilités d’accueil, d’intendance, d’hôtellerie. Sa manière d’agir — faire les choses sans parler —, son attention pour que chacun soit nourri, accueilli, respecté, a profondément marqué ceux qui l’ont rencontré. Ici, à Notre-Dame des Anges, certains peuvent témoigner d’un accueil inconditionnel, d’une générosité silencieuse mais réelle, dont ils ont été transformés. Dans l’Évangile, lorsque le Ressuscité se manifeste pour la troisième fois, Jésus n’attend pas que les disciples aient rapporté leurs poissons. Arrivés à terre, ils trouvent déjà « un feu de braise, avec du poisson posé dessus, et du pain ». Grande délicatesse du Seigneur, qui prépare lui-même le repas. « Venez manger. » Grand étonnement de voir le Ressuscité prendre la tenue du serviteur, et la garder, pour nous inviter à sa table comme on le fait naturellement entre amis ou envers des hôtes de passage. Aujourd’hui encore, les amis, le Ressuscité nous invite à sa table. Aujourd’hui encore, il nous dit : « Venez manger. » Et Patrice nous y attend. Quelle serait sa joie de nous voir, à notre tour, accueillir celui qui est de passage, aimer davantage par nos actes que par nos paroles, et prendre soin les uns des autres dans la grande famille des chrétiens. Alors oui, allons-y. Venez manger.
Thierry Lamboley, 20 mai 2025