46ème jour – 1er mai – La fin d’un monde
Aujourd’hui, 1er mai, nous sentons approcher la fin du confinement… et nous sommes nombreux à penser à l’avenir à reconstruire. Pour nourrir notre réflexion, nous vous proposons le texte du frère Jean-Pierre Longeat de l’Abbaye de Ligugé. [1]
[1] Newsletter La Croix Essentiels Religions du lundi 27 avril
La fin d’un monde
Comme on a pu dire que le XIXe siècle s’était clos avec la guerre de 14-18, de même on pourra affirmer que le XXe siècle s’est terminé avec l’épidémie du Coronavirus. Et plus que le XXe siècle, c’est sans doute l’ère de la Renaissance occidentale qui arrive à son terme.
Cette civilisation est bâtie sur une exaltation de la perception « objective ».
Depuis la fin du Moyen Âge, nous sommes dans une approche de l’existence qui privilégie la dimension dite « scientifique », c’est-à-dire de connaissance et de transformation extérieures des objets qui nous entourent, mais aussi des « objets » que nous sommes. Paradoxalement, elle a encouragé l’émergence du sujet qui perçoit ; elle l’a conduit au statut d’individu illusoirement souverain n’ayant de compte à rendre à rien ni à personne.
Une telle approche a eu des conséquences en matière de développement économique, technologique, social, politique et culturel. Le monde occidental s’est progressivement voulu comme une masse de prétendus sujets sans maîtres accordant leur foi à leur science. Et voilà que, brusquement, un intrus viral vient ébranler mondialement cette assurance qui semblait à jamais victorieuse de tout obstacle.
Que va-t-il se passer ? Sinon cette fois-ci, au moins après d’autres attaques de ce virus ou d’un mutant ?
Un impact économique et social retentissant
Observons déjà les méfaits de cette étape décisive de notre histoire. Par suite de l’arrêt pendant plusieurs semaines des principales branches de l’industrie et du commerce, l’impact économique va être retentissant. Fermetures, licenciements, cessations temporaires d’activités vont jalonner les mois à venir. Le niveau de vie en sera gravement impacté.
Par ailleurs les activités soutenant la vie sociale ayant été particulièrement affectées, comme la santé, la justice, l’enseignement scolaire et universitaire, mais aussi le secteur hôtelier, le tourisme, les bureaux de service et de consultation, ainsi que les activités culturelles, il est inévitable que le tissu social doive être recomposé à nouveaux frais.
Mais sommes-nous capables d’inventer de nouveaux modèles économiques et sociaux ? Les gouvernements, au contraire, feront tout ce qui est en leur pouvoir pour restaurer le régime libéral en vigueur. Déjà des sommes qui dépassent l’entendement sont promises à tous les acteurs économiques qui ne pourraient se remettre à flot. Mais de telles promesses n’auront qu’un temps. Elles ne résisteront pas à de nouvelles épreuves.
Une ère se termine.
Nous devons désormais nous penser dans un mode de connaissance constamment évolutif et non absolutisé, intégrant le concept de complexité, comme en interaction avec l’ensemble des éléments constituant l’univers, à la modeste et belle place qui est la nôtre. De là devra émerger une ambition de solidarité avec ce qui nous entoure telles que les préoccupations écologiques y invitent. À plus forte raison, devrons nous engager ce processus de solidarité les uns à l’égard des autres sans que l’idéologie individualiste ne vienne perturber ce principe d’interaction qui appartient à la nature même du vivant.
Tel est le maître mot de la nouvelle ère : « solidarité ».
D’un point de vue économique, comment imaginer que perdurent les injustices que l’on retrouve à tous les échelons de la vie sociale à l’intérieur de chaque nation comme entre les nations ? Mais pour qu’une telle solidarité soit active, il faudrait sans doute que tous fassent l’expérience de la précarité. Ce ne sera pas le cas. Il y aura toujours des privilégiés qui sauront tirer leur épingle du jeu. Cela sera d’autant moins acceptable que ces privilégiés voudront restaurer une politique néolibérale qui leur profitera en premier lieu ; ils encourageront probablement un plus grand contrôle des populations par des moyens sophistiqués menaçant la liberté individuelle et mettant de plus en plus à mal la pratique acquise des services publics.
Mais, même si cette « restauration » se produisait, il y a fort à parier que les crises se multiplieront à l’avenir, qu’elles soient épidémiques comme l’actuelle, écologiques, ou dues à des mouvements sociaux incontrôlables. Si bien qu’à terme, ce système néolibéral au service de la puissance financière, finira par s’écrouler et s’achèvera en violences qui obligeront ceux qui resteront à reconstruire la vie sociale sur un champ de ruines.
Notre source vitale
Pour en finir, le plus important est sans doute de souligner la nécessité de donner droit à la force de l’inspiration. Celle-ci se manifeste dans le silence du recueillement, du retrait et permet de laisser mûrir des scénarios variés à partir d’une source vitale très profonde qui, en l’être humain se cache toujours sans que jamais on puisse en douter. Cela vaudra en tout domaine et ce sera probablement le point d’attention le plus important en vue de notre développement.
Les religions seront également touchées par ce changement de monde.
On peut espérer qu’elles comprendront que leur principale préoccupation devrait justement résider dans le fait d’encourager cet élan vital qui demande à être nourri et partagé. Comme chrétien, j’aspire à ce que cette foi soit la clé de lecture de la proposition du Christ. Pour moi, le Christ est la personne qui a vécu le plus divinement la disponibilité à cette source vitale. Il dit en venir, il la partage comme un amour inconditionnel et il lui rend tout comme un accomplissement de son existence. En donnant accès à cette source à tous ceux qui le veulent, il les appelle à former une famille de frères et de sœurs signe d’une unité possible. C’est dans cet esprit de fraternité que seront vaincus les obstacles que nous allons rencontrer dès aujourd’hui.
Ne nous confions pas à nous-mêmes seulement, n’adorons aucune idole fut-ce celle de la science, de l’argent ou du pouvoir, et accueillons l’inspiration qui nous vient de plus loin que nous. Tel est notre avenir à tous.
Frère Jean-Pierre Longeat de Abbaye de Ligugé.