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4ème dimanche de Carême, homélie et témoignage

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4ème dimanche de Carême– année A- 19 mars 2023

Lectures :    1 S 16,1b.6-7.10-13a             Ps 22      Ep 5,8-14                 Jn 9,1-41

Homélie

Vous avez sans doute été saisi comme moi par la première lecture : Dieu ne regarde pas l’apparence mais le cœur des hommes ! Parmi tous les fils de Jessé, ce n’est pas le plus fort, l’aîné, le plus vaillant, que Dieu choisit comme roi pour régner sur son peuple, mais le dernier, le plus faible, cet enfant, David, qui gardait les moutons ! Et vous connaissez la suite : cet enfant va vaincre le géant Goliath, il va devenir un roi généreux, puissant et juste, il va régner longtemps sur Israël et servir d’exemple à beaucoup !

            Et dans l’Evangile c’est par la guérison d’un aveugle que Jésus cherche à ouvrir les yeux des pharisiens. Sans succès c’est vrai mais cet aveugle aura été un véritable apôtre !

            Il en va ainsi très souvent dans la Bible, mais aussi dans la vie de tous les jours !  On a presque l’impression que Dieu s’amuse à choisir le plus petit, le plus faible, le minus, pour nous secouer, nous réveiller, nous ouvrir les yeux…  Je me souviens de cette vieille femme, une veuve, qui m’avait dit : « je ne fais rien pour les autres… Vous comprenez j’ai une fille handicapée à la maison. Cela fait 38 ans que je m’occupe d’elle, je ne peux jamais la laisser seule !  Je ne fais rien pour les autres… » Cette femme, elle m’a fait grandir : ce ne sont pas nos éventuels exploits qui comptent aux yeux de Dieu, c’est la façon dont nous portons humblement, patiemment, les croix du quotidien.

            Parmi nous ce matin il y a des couples qui préparent leur mariage. Peut-être qu’ils sont encore dans l’émerveillement devant leur conjoint ! C’est le temps des fiançailles !  Mais peut-être aussi qu’ils découvrent jour après jour les défauts, les limites, ou les fragilités de l’autre ! Puissent-ils puiser dans ces lectures bibliques la force de contempler l’autre comme Dieu le contemple : un être avec ses défauts certes mais un être qui peut grandir, que l’amour peut faire grandir, comme l’autre peut me faire grandir moi-même s’il me fait confiance, s’il me manifeste sa confiance ! A deux on est plus fort, à deux on peut beaucoup !

            Et puis il y a aussi parmi nous quelqu’un qui est visiteur de prison, à Gradignan. Je vais laisser la parole à Alain de Framond, parce que lui aussi il est sans doute touché par la fragilité et la grandeur de ceux qu’il visite…

Témoignage

Bonjour à toutes et à tous,

Je m’appelle Alain et je suis aumônier de prison à la maison d’arrêt de Bordeaux Gradignan. Cet
établissement fait parler de lui, actuellement, pour ses mauvaises conditions de vie des détenus et de travail
pour les surveillants, en attendant l’achèvement de nouveaux bâtiments en cours de création. Elle regroupe
plus de 800 détenus, avec un taux de surpopulation entre 200 et 240 % et donc, beaucoup de cellules de 9 m²
logeant jusqu’à 3 co-détenus à la fois. Une folie ! Raconter l’aumônerie de prison en quelques minutes est
mission impossible ! Aussi je vais juste vous rapporter une histoire vécue avec un détenu, Anthony, qui m’a
autorisé à parler de lui.

Un jour, un gradé me propose de me rendre au quartier d’isolement, le QI. C’est un secteur à part, de 6
cellules seulement, parmi les 400 de l’établissement, et où se trouvent des détenus particuliers, avec des
histoires très lourdes. Là, je rencontre donc Anthony, à sa demande (toujours uniquement à la demande des
détenus), 30 – 35 ans et un passé de grandes violences, subies puis données. Et je chemine avec lui depuis
lors, en confiance et avec un réel plaisir. Parmi les évangiles proposées chaque jour, je tombe, il y environ 1
an de cela, sur la « parabole du Fils Prodigue » (Luc, 15, 11-32). Elle m’a toujours touchée et le Fils
prodigue me fait fortement pensé à Anthony et sa capacité évidente à reconnaître ses fautes, malgré leur
lourdeur, même à se sur-culpabiliser. Et je me dis que cet Evangile est fait pour lui. Aussi je lui propose de
lire la parabole. Et non seulement de la lire un jour, mais, pourquoi pas, s’il le veut (le détenu seul choisit de
faire ou ne pas faire, il n’y a aucune contrainte), je me risque à lui proposer de la relire, chaque jour de la
semaine, en notant chaque fois comment elle lui parle, dans une forme de lectio divina. Pourquoi pas ?
Je reviens la semaine suivante, et là, 1 ère surprise, Anthony avait lu et annoté largement la parabole. Mais il
l’avait aussi relue chaque jour, comme un signe de confiance entre nous. Intrigué, je lui demande tout ce
qu’il a envie de me dire de sa semaine. Et là, 2 ème surprise, il commence par me parler du fils aîné ! J’avoue
que je n’avais jamais fait attention à lui, trop concerné et obnubilé par le fils cadet. Mais 3 ème surprise encore,
il m’en parle abondamment, longuement, et finalement il ne parle que de lui, le fils aîné !
Notre temps étant compté, au contraire de celui de la prison où le temps est suspendu et où la patience, que
je n’ai pas, est reine, je vais à la conclusion de ce moment de partage intense et authentique …
En m’évoquant à sa façon la parabole du Fils prodigue, à travers l’aîné des deux frères, ce jour là j’ai
vraiment commencé à comprendre Anthony. Il s’est dévoilé et m’a dit en toute confiance des choses
profondes de lui et de sa vie. Je suis admiratif. Car il faut avoir du cran et de l’humilité, pour dire ce qu’il me
dit. Il a depuis lors fait un chemin personnel étonnant, incroyable, même, passant de l’ombre à la lumière et
nous poursuivons ensemble ce chemin aujourd’hui.
Mais en évoquant le fils aîné, il m’a aussi donné un autre regard, nouveau pour moi, sur cette parabole. Au
point que nous l’avons évoquée aussi en équipe d’aumônerie, avec mes 4 autres collègues, ce qui a été à
plusieurs reprises l’occasion d’échanger entre nous et de donner différents éclairages de cette parabole ! Il
existe notamment une représentation de la parabole peinte par Rembrandt, que l’on restitue parfois en
montrant seulement le Père prodigue et le Fils prodigue, en lumière. Mais sur l’ensemble du tableau, il y a
d’autres personnages, et notamment, mais dans l’ombre, le Fils aîné …

De fait, l’aumônerie de prison ne se vit pas seul, mais en équipe, et cette pastorale, dont on nous dit qu’elle
se résume en 3 mots, Ecoute – Sourire – Bienveillance, est à la portée de tous et de chacun. Cela tombe bien,
car dans une maison d’arrêt aussi pleine, 5 aumôniers ne suffisent pas. Alors bienvenue à celles et ceux que
cette pastorale tente, nous les accueillons avec grand plaisir et grande joie !

Enfin, un dernier mot sur le cœur de cette pastorale, où il est question d’Evangélisation. Qu’est ce
qu’aujourd’hui évangéliser, nous demande t’on en formation ? Une réponse sans doute très actuelle en a été
donnée il y a 800 ans, par François d’Assise, qui le disait précisément en ces termes : « As-tu déjà réfléchi à
ce que c’est, qu’évangéliser un homme ? Evangéliser un homme, vois-tu, c’est lui dire : Toi aussi, tu es aimé
de Dieu dans le Seigneur Jésus. Et pas seulement le lui dire, mais le penser, réellement. Et pas seulement le
penser, mais se comporter avec cet homme de telle manière qu’il sente et découvre qu’il y a en lui quelque
chose de plus grand et de plus noble que ce qu’il pensait, et qu’il s’éveille ainsi à une nouvelle conscience de
soi. C’est cela, lui annoncer la Bonne Nouvelle. Tu ne peux le faire qu’en lui offrant ton amitié. Une amitié
réelle, sans condescendance, faite de confiance et d’estime profonde. » …

Merci et bon dimanche

Alain de Framond, aumônier de prison