Témoignage du 1er dimanche de Carême
1er dimanche de Carême– année A- 26 février 2023
Lectures : Gn 2, 7-9 ; 3, 1-7a Ps 50 Rm 5, 12-19 Mt 4, 1-11
Témoignage de Pierre Vermeren
Quelques mots sur le désert pour accompagner la parabole de ce dimanche, à propos de la tentation au désert :
Le désert n’est pas forcément ce que l’on pense. Il a beaucoup évolué car il est traversé et très visité de nos jours. La modernité ne l’a pas épargné, notamment autour des villes, que ce soit au Sahara au sud du Maghreb, en Libye et en Égypte ou dans le sud de la Syrie et en Jordanie, là où se trouve le désert de l’Évangile, dans l’actuelle Jordanie. Dépôts sauvages de déchets du BTP, autoroutes, oléoducs et gazoducs, occupation et passages des armées et des trafiquants, des migrants et des camions, le désert est un lieu très habité, on y fait même la guerre. Mais le Sahara est tellement immense -16 fois la France-, que lorsqu’on s’éloigne de ses entrées ou de ses infrastructures (pétrole, routes, camps militaires) et de ses villes, la nature minérale, le ciel et le silence reprennent leurs droits.
Il y a deux manières d’entrer dans le Sahara. Quand on est dans la vallée du Nil ou dans les oasis, la transition entre la verdure et le désert est immédiate. Tout ce qui n’est pas irrigué est désertique/ et tout ce qui est irrigué est florissant : à quelques centimètres près, on passe d’un climat exceptionnel où tout pousse grâce à l’eau (il y a trois récoltes de blé par an en Égypte depuis la fin des crues annuelles) à la sécheresse complète, c’est-à-dire aux cailloux et à la poussière. Où l’on démontre qu’il n’y a pas de vie (ou presque) sans eau. En revanche, quand on entre dans le Sahara en venant du Sahel africain par le sud, ou par le nord en descendant des hauts plateaux algériens en direction du sud, on entre très progressivement dans le désert : au fur et à mesure que la végétation s’estompe, se raréfie, se durcit… le désert prend le dessus, puis règne en maître. L’Empire du silence commence.
Pour la foi des catholiques, le désert est essentiel. A la fois parce qu’il est très présent dans la Bible et dans les Évangiles, mais aussi parce que dans l’histoire des chrétiens, c’est au désert que Saint Antoine et Saint Pacôme ont inventé le monachisme au IIIe siècle en Égypte. Sans le savoir, ils ont fondé une incroyable tradition spécifique au christianisme (Mahomet, au VIIe siècle, a interdit le monachisme selon lui incompatible avec la vie conjugale qui s’impose aux musulmans). En Égypte, jusqu’à 300 monastères ont essaimé sur la rive gauche du Nil, là où les anciens Égyptiens enterraient leurs morts car elle n’était le royaume des morts. Le monachisme a permis de reconquérir ce territoire et d’y amener la vie, par la prière, le travail, l’étude et la vie communautaire, dans des conditions très rudimentaires.
Dix-huit siècles après sa naissance, le monachisme est toujours présent en Égypte. Après une forte chute au milieu du XXe siècle, il est aujourd’hui en pleine renaissance, avec 5 à 6000 moines et moniales répartis dans 50 monastères, Wadi Natrun près d’Alexandre, Sainte Catherine dans le Sinaï, mais aussi dans les oasis de Siwa près de la Libye, ou sur le littoral de la mer Rouge près d’Hurghada. L’Égypte est le seul pays du monde saharien où le monachisme résiste et maintient la flamme des origines ; les monastères ont été une protection pour les musulmans et l’Église copte au temps des conquêtes musulmanes ou des régimes les plus durs, quoiqu’en principe, ils bénéficient d’une protection. On sait qu’en France, aux temps de la persécution, du roi contre les protestants, ou de la révolution contre les catholiques, les assemblées et messes du désert ont été un refuge et le moyen de maintenir le culte et les assemblées.
Le désert est donc le lieu d’une spiritualité féconde, comme notre grand saint Charles de Foucauld l’a expérimentée au désert du Sahara dans son minuscule ermitage de Tamanrasset au milieu des Berbères Touarègues. Dans cet endroit du silence, le lmpoj scre bruit est un évènement. ERT dans ce lieu minéral offre au ciel, la moindre nuance de couleur mérite que l’on s’y attache. La parabole de Charles de Foucauld (1858-1916) indique la trace offerte par le désert : sortir des chemins ordinaires et se perdre, non pour l’ailleurs mais pour l’intérieur. Dans ce lieu dépourvu de tentations, l’Homme est renvoyé à la vie Intérieure, au plus intime de son être. C’est en lui que s’opère le combat spirituel et qu’il peut comme le Christ rejeter le tentateur. Foucauld a passé 15 ans au désert (de 1901 jusqu’à sa mort en 1916) ; « il y apprend que nous sommes notre propre limite. A travers le sable, le vent, les couleurs des horizons, l’écho infini des nuits, il enregistre les voix de tout ce qui ne connaît pas de frontières : l’amour, la mémoire, le désir le chant… ».
Tel est le quatrième de couverture d’un petit livre qui s’intitule Déserts (publié chez Payot, Rivage-poche n°750), extrait de son immense dictionnaire de la langue touarègue, dans lequel ont été sélectionnés les mots pour dire l’invisible et l’inaudible, les nuances les plus infimes observées par les hommes du désert et auxquelles nous ne portons nulle attention car nous ne les voyons pas et ne les entendons pas. Rappelons-nous la parole de l’Évangile. Dieu parle dans le désert, c’est pourquoi les Prophètes, Jésus puis les moines vont y écouter sa parole.
Pierre Vermeren