Rapport de la CIASE

– N’ayons pas peur que l’Église change

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Article extrait du journal La Croix du 14/10/2021

Pierre-Yves Stucki Animateur de l’antenne des Semaines sociales de France dans les Yvelines Parmi les initiateurs d’une mobilisation sur les réseaux sociaux de laïcs engagés, Pierre-Yves Stucki soutient un processus de réformes dans l’Église.

La Croix : Après le choc du rapport Sauvé, vous avez, avec d’autres laïcs, appelé à engager les réformes nécessaires : comment agir aujourd’hui ?

Pierre-Yves Stucki : D’abord, n’ayons pas peur que l’Église change. Son histoire est celle d’une succession d’ajustements, avec de grandes réformes. Il est dans la nature même de l’Église d’œuvrer pour rester fidèle à sa mission dans le monde de son temps, de s’interroger sur sa compréhension de l’Évangile. Il est ainsi de notre devoir de changer. Mais nous devons le faire ensemble.

Rappelons, à temps et à contretemps, que l’Église est constituée de tous les baptisés, chacun à sa place. Nous en sommes tous collectivement responsables. Personne ne peut prétendre détenir seul la solution. Nous la percevrons d’abord en nous mettant à l’écoute des victimes. Ce que décrit le rapport m’horrifie. Ne pas vouloir changer, c’est finalement nier les faits, cela me semble aussi inimaginable que scandaleux. La situation est trop grave : ce n’est pas possible de continuer sans changement ! Nous ne savons pas vraiment dans quelle direction aller, mais nous avons la chance d’avoir un pape qui nous invite à faire l’effort de rêver l’avenir. Aujourd’hui, plus que jamais, il nous faut oser rêver l’avenir.

L’Église doit-elle changer pour rester audible dans la société ?

P.-Y. S. : La mission de l’Église est d’annoncer l’Évangile et l’amour de Dieu, donc de se faire entendre et d’être entendue. La première exigence qui s’impose à elle, qui la rend crédible, c’est que le comportement personnel et collectif de ceux qui s’en réclament demeure conforme à ce qu’elle annonce. Sinon, parler est inutile. Or le rapport de la Ciase témoigne d’un écart abyssal, qui ruine sa crédibilité et sape son autorité, entre ce que l’Église prétend être et la manière dont elle pouvait se comporter en interne.

Je crois beaucoup au témoignage silencieux : avant même de parler, c’est l’exemple de votre vie qui dit quelque chose. Une conversion individuelle mais aussi collective est nécessaire. Jean-Paul II avait reconnu que collectivement l’Église aussi pouvait être pécheresse.

Craignez-vous que l’Église tarde à engager un processus de réformes ?

P.-Y. S. : Je ne suis pas dans la crainte : Dieu ne nous abandonne pas. En revanche, je crois que nous avons un devoir au nom de notre mission de chrétiens dans le monde d’aujourd’hui et que nous ne pouvons pas nous dérober. Le risque réel si l’Église ne change pas, c’est que nous devenions, pour reprendre une expression de Mgr Luc Ravel, archevêque de Strasbourg, une petite secte moralisatrice. Il y aurait un repli autour d’un noyau dur qui vivrait à l’écart de la société et entretiendrait des rapports plus ou moins conflictuels avec elle. Cette Église aurait renoncé à toute prétention de répondre à la mission confiée par le Christ d’annoncer l’Évangile à tous.

Comment alors l’Église peut-elle se réformer ?

P.-Y. S. : Elle doit d’abord aller au bout de sa démarche d’écoute, de vérité et de justice à l’égard des personnes victimes. Elle doit aussi accepter d’entendre ce que le monde a à lui dire. Pour l’Église, l’essentiel est d’être fidèle à sa mission et davantage conforme à l’Évangile. Or, aujourd’hui, nous percevons un écart sur certains points entre sa doctrine et la société qui évolue. Cette dernière est marquée par une exigence accrue de transparence, alors que dans l’Église la culture du secret reste forte.

De même, sur la place des femmes, la demande est de plus en plus forte dans la société sur la parité ou l’égalité salariale tandis que dans l’Église, qui ne vivrait pas sans l’engagement immense de très nombreuses femmes, beaucoup attestent encore ne pas se sentir reconnues à leur juste valeur. En restant en marge de ces évolutions, la crédibilité de l’Église est mise à mal.